14 novembre 2024
Yannick Bestaven, après une très courte nuit, que retenez-vous de votre arrivée aux Sables-D’Olonne ?
Je n’ai même pas pu dormir vraiment tranquillement (rires). C’est trop d’émotions d’un seul coup, de comprendre que j’ai gagné le Vendée Globe, il va me falloir quelques jours pour bien réaliser. Ce fut une arrivée exceptionnelle malgré ces conditions sanitaires compliquées. Retrouver mon équipe, serrer dans mes bras mes proches, c’était déjà pour moi énorme. Mes filles sont montées à bord, et la première chose que je leur ai dit, c'est : "vous voyez, j'ai terminé mon tour du monde".
Aviez-vous douté que cela puisse être possible ?
Quand j’étais au large du Brésil et que j’ai connu une période sans vent, à perdre mes 450 milles d’avance, je me suis dit que c’était terminé. J’avais le moral dans les chaussettes, je n’y croyais plus, j’avais envie de me jeter à l’eau ! Des hauts et des bas, tous les skippers en vivent sur ce Vendée Globe. Cette course, c’est vraiment de l’imprévu de bout en bout… Michel Desjoyeaux aimait répéter : « le Vendée, c’est une emmerde à surmonter par jour ! » Je comprends bien ce qu’il voulait dire….
Quelles sont les ingrédients de votre succès sur l’édition 2020 – 2021 ?
Un partenaire déjà de qualité comme Maitre Coq ! Un bon bateau, une équipe au top, j’ai un gros potentiel humain autour de moi, ça compte. Après, je pense aussi avoir gagné en maturité et en expérience, ce n’est pas la première fois que je prenais la mer (rires)… Franchement, je visais un top 5, et j’ai eu bien plus !
Vous avez été leader pendant 28 jours, vous avez passé le Cap-Horn en premier. Cela ne suffisait pas pour faire de vous un favori ?
Tout est fragile et c’est la mer qui décide. Regardez les casses, celle d’Hugo Boss que l’on imaginait finir en tête cette édition, celle de Jérémie Beyou qui a dû faire demi-tour pour réparer. Regardez surtout ce qu’il est arrivé à Kevin, c’est dingue ! Lui-même ne comprend pas encore ce qu’il lui est arrivé…
Comment avez-vous vécu le sauvetage de Kevin Escoffier ?
Déjà, ça s’est bien terminé, car cela aurait pu être tragique : retrouver un gars sur un petit radeau de survie au milieu de l’océan, ce n’était pas gagné d’avance. Ça m’a remué. Quand la direction de course m’appelle pour me dire de ne pas y aller car je suis un peu loin de lui et ensuite me demande si je suis prêt à rejoindre Jean Le Cam pour avoir plus de chances de retrouver Kevin, alors que je me bats dans une mer avec des creux de six mètres… Imaginez un peu. À la VHS, j’ai senti Jean vraiment inquiet. La nuit tombait, il faisait froid, on ne voyait pas Kevin. Cette nuit était un enfer, il n’y a pas d’autres mots. La suite, vous la connaissez…
Le Vendée Globe est un marathon. Vous avez finalement pu rattraper Thomas Ruyant et Charlie Dalin dans le grand Sud et le final a été inédit…
Je suis passé par tous les sentiments. J’ai eu peur de tout perdre alors qu’il y avait tout à gagner. Le facteur chance fait partie du jeu, regardez Boris (ndlr : Boris Herrmann), qui heurte un bateau de pêche à seulement 160 km de l’arrivée aux Sables-d’Olonne… À six heures du matin, j’ai brandi le trophée avec Charlie qui était arrivé depuis plusieurs heures. Il est passé à côté de la victoire finale mais il a été très classe, je l’ai félicité pour sa course et son esprit irréprochable. Il était gêné de toucher le trophée, mais je lui ai dit que l’on avait tous gagné ce Vendée Globe !
Cette arrivée aux Sables-d’Olonne, dans la région où vous êtes né, a-t-elle une saveur particulière ?
C’est vrai que je suis né à Saint-Nazaire, une vraie ville maritime. Après j’ai grandi dans le bassin d’Arcachon, avant de m’installer à La Rochelle. Donc je suis Nazairien, Rochelais, Arcachonnais… (rires). Ce que je retiens surtout, c’est mon amour pour cette côte atlantique, depuis très jeune. J’ai commencé par le bodyboard, la planche à voile, j’ai fait de la compet de kayak aussi ! Les sports nautiques ont été mon phare, j’étais toujours à la recherche de sensations nouvelles.
Après cette victoire mythique, avez-vous d’autres rêves ?
Vous savez, le Vendée en 2008 a longtemps été une frustration terrible, tenace. Je n'ai même pas fait 24 heures et je suis rentré avec le mât à l'horizontal. Quand on me demandait si j’avais fait le Vendée, je répondais "non". Maintenant, je l’ai fait, et je l’ai gagné. Je vais en profiter, savourer comme il faut. C’est déjà pas mal comme rêve.